Facebook et WhatsApp, où l'art de vous trahir

Sa position dominante acquise, Facebook a pu imposer sa surveillance. L'histoire se répète maintenant avec WhatsApp

Publié par Pixel de Tracking le 3 févr. 2021

Le pire du capitalisme de surveillance

Je n'avais encore jamais écrit sur Facebook, et pourtant cette société représente ce qui se fait de pire dans le domaine de la surveillance publicitaire. Les conséquences de sa domination sont graves :

  • Addictions : Les équipes produit de Facebook ont pour objectif ultime de faire croître l'engagement. Plus vous passez de temps sur ses applications (Facebook, Instagram, Messenger, WhatsApp), mieux vous serez "monétisé".
  • Radicalisation : Les contenus extrêmes font réagir, ils favorisent l'engagement sur la plateforme. En conséquence, les algorithmes de Facebook mettent en avant les contenus extrêmes et la désinformation. Facebook est une chance pour les complotistes, les fanatiques et l'extrême droite, ce qui met en danger la démocratie dans de nombreux pays.
  • Censures : Facebook et Instagram sont quasi incontournables pour qui souhaite informer ou alerter. Mais les règles de modération sont arbitraires et les recours compliqués. Les modérateurs manquent dans certains pays, ne comprennent pas bien les subtilités culturelles. De nombreux membres de la société civile et activistes se voient censurés.
  • Traumatismes pour les modérateurs : ceux-ci sont des contractuels, peu considérés et mal payés, confrontés à des horreurs au quotidien. Ils restent souvent traumatisés pour longtemps.
  • Une société digne de 1984 : avec son compère Google, Facebook a un rôle fondateur dans l'installation de la surveillance généralisée dans nos sociétés, mettant à mal la démocratie.

Le très provocant mais honnête mémo 'The Ugly", écrit en 2016 par un des dirigeants de Facebook, résume bien la culture d'entreprise : "Growth at any cost". Voici un extrait :

So we connect more people That can be bad if they make it negative. Maybe it costs a life by exposing someone to bullies. Maybe someone dies in a terrorist attack coordinated on our tools. And still we connect people.

The ugly truth is that we believe in connecting people so deeply that anything that allows us to connect more people more often is de facto good. It is perhaps the only area where the metrics do tell the true story as far as we are concerned.

Et au cœur du modèle de Facebook, on retrouve l'exploitation abusive de vos données personnelles. Le mépris de Facebook pour la vie privée de ses utilisateurs est largement documenté sur le web aujourd'hui. Mais il est rare d'y trouver une histoire retraçant l'érosion de votre vie privée par Facebook, mise en parallèle avec l'état de la concurrence.

Dina Srinivasan est une chercheuse travaillant sur ces sujets, à l'intersection de l'"antitrust" et de la "privacy", j'avais déjà eu l'occasion de parler de son travail dans l'article "La domination des marchés publicitaires de Google". Je vais ici partir de sa thèse "The Antitrust Case Against Facebook" pour décrire comment Facebook a pu imposer sa surveillance publicitaire sur le web et les applications, en dépit d'une préférence marquée des utilisateurs pour un respect de leur vie privée.

Aux origines, le respect de la vie privée était une force de Facebook

Il est difficile de s'en souvenir aujourd'hui, mais initialement le marché des réseaux sociaux était très compétitif. En 2006, le réseau social le plus utilisé était MySpace. Mais Facebook se trouvait aussi face à de nombreux autres réseaux sociaux comme Bebo, Hi5, Friendster ou Orkut (propriété de Google). Comment se différencier dans un marché concurrentiel où le produit est "gratuit" ? Par la qualité, et le niveau de protection de la vie privée est rapidement devenu un point important de différenciation.

En 2006 donc, MySpace était le leader. Mais il était très décrié dans les médias, mis en accusation de favoriser les harcèlements sexuels, suicides ou meurtres (quelques articles de l'époque ici, ou encore ). La raison ? L'ouverture trop grande de la communication sur MySpace, et le peu de considérations pour la vie privée de ses utilisateurs.

Facebook avait donc un boulevard pour se différencier, ce qu'il a fait :

  • MySpace était ouvert à tout le monde, Facebook était initialement réservé aux étudiants, pouvant justifier d'une adresse e-mail universitaire (en ".edu").
  • Par défaut, les profils utilisateurs de MySpace étaient ouverts à tout le monde. Aux débuts de Facebook, seuls les amis et les étudiants d'une même université pouvaient consulter leurs profils respectifs.
  • Facebook a rapidement donné beaucoup de contrôle à ses utilisateurs, ce que ne permettait pas MySpace : choix de l'ouverture ou de la fermeture de son profil aux amis, amis d'amis, étudiants de la même université. Mais aussi la possibilité d'être visible ou non sur son moteur de recherche, ainsi que des contrôles granulaires sur les informations de contact comme le numéro de téléphone.

Aussi, Facebook a très rapidement embauché un responsable de la vie privée. Sa politique de confidentialité était courte et très claire, avec seulement 950 mots. On peut notamment y lire :

Use of Cookies

A cookie is a piece of data stored on the user's computer tied to information about the user. We use session ID cookies to confirm that users are logged in. These cookies terminate once the users close the browser. We do not and will not use cookies to collect private information from any user.

La logique de réseau privé, le contrôle donné aux utilisateurs ainsi que la courte politique de confidentialité ont été des éléments différenciants par rapport à d'autres réseaux sociaux tels que MySpace. Même si d'autres facteurs ont pu jouer (solide socle technique, élitisme initial, interface utilisateur plus épurée, etc), le meilleur respect de la vie privée a joué un rôle central dans le développement de Facebook.

Beacon, la première tentative (ratée) de surveillance du web

En 2007, Facebook devient le nouveau réseau social à la mode (et j'ouvre mon compte). En novembre, il lance Beacon, une initiative transparente de surveillance publicitaire en dehors de Facebook. Au lancement, le New York Times est l'un des partenaires. Si je lis un article du New York Times, Facebook me propose alors via une pop-up de partager ma lecture à mes amis. Facebook Beacon permet aussi de partager ses achats, la musique écoutée, les films regardés, etc :

bc

Facebook Beacon vous surveille, mais vous êtes informé.

La présence de ces nouveaux traceurs de Facebook lui permet de surveiller le comportement des utilisateurs sur des sites tiers (via un cookie), même si ceux-ci déclinent le partage de leurs activités. Devant le tollé provoqué par Beacon, Facebook se défend pourtant de surveiller les utilisateurs lorsque ceux-ci refusent le partage. Voici un extrait de l'interview du vice président Marketing & Opérations de l'époque au New York Times :

Q. If I buy tickets on Fandango, and decline to publish the purchase to my friends on Facebook, does Facebook still receive the information about my purchase?

A. “Absolutely not. One of the things we are still trying to do is dispel a lot of misinformation that is being propagated unnecessarily.”

Déclaration évidemment démentie quelques heures plus tard par un chercheur. Avec les traceurs Beacon, Facebook surveille aussi les utilisateurs qui se sont déconnectés, ainsi que les personnes qui n'ont pas de compte Facebook. C'est une première violation de la vie privée pour Facebook, en contradiction avec sa politique de confidentialité qui indique alors uniquement utiliser les cookies "to confirm that users are logged in", et "these cookies terminate once the users close the browser".

Rapidement, Facebook est confronté à de nombreuses protestations, des pétitions et même des procès. Plusieurs participants au programme Beacon décident de se retirer. Les autres réseaux sociaux profitent également de ce scandale pour critiquer Facebook et améliorer la gestion de la vie privée sur leurs plateformes. Début décembre 2007, Mark Zuckerberg s'excuse (pour un historique des excuses de Zuckerberg, voici un bon article) et annonce une option d'Opt-out. L'option cachée dans les paramètres ne répondant toujours pas aux exigences des utilisateurs, Facebook fermera Beacon moins d'1 an après.

Ce retrait rapide est la preuve d'un marché encore compétitif. Facebook est sous pression de réseaux sociaux concurrents. Aussi, afin de restaurer une confiance déjà trahie, Facebook annonce en 2009 que tout changement à la politique de confidentialité sera désormais soumis à un vote.

Le bouton Like, un cheval de Troie idéal

Facebook a de la suite dans ses idées, il apprend de ses erreurs et en avril 2010, il introduit le bouton Like lors de sa conférence annuelle pour les développeurs. Pour les éditeurs, c'est une opportunité de profiter d'une distribution facile de leurs articles sur Facebook, et donc d'attirer de nouveaux lecteurs. Et rapidement c'est un succès : dès les premières semaines, plus de 50,000 sites installent le bouton like, dont des éditeurs célèbres tels que CNN, le New York Times, The Wall Street Journal ou Slate.

Mais comme avec Beacon, le bouton Like communique avec les serveurs de Facebook pour s'afficher sur votre écran. Facebook peut ainsi surveiller votre navigation, de nouveau en contradiction avec sa politique de confidentialité. CNET cite ainsi la FAQ de l'époque :

No data is shared about you when you see a social plug-in on an external website.

À la différence de Beacon, Facebook indique que ce produit ne sera pas utilisé dans un but de surveillance commerciale. 2 raisons :

  • Facebook se souvient encore du scandale Beacon, et souhaite éviter un nouveau scandale.
  • Il doit convaincre les éditeurs, des concurrents sur le marché publicitaire, d'installer ces boutons Like. Théoriquement, il pourrait ainsi revendre moins cher aux annonceurs l'audience du Wall Street Journal, directement sur Facebook.

Un chercheur a pu détailler la fuite des données personnelles via le bouton Like (Facebook Tracks and Traces Everyone: Like This!) dès novembre 2010. Via des cookies qu'il installe même si vous ne cliquez pas sur le bouton Like, le réseau social récupère votre identité, l'URL de la page consultée ainsi que le titre de l'article ou le nom du produit. Là également, la surveillance a lieu même si vous n'avez pas de compte Facebook. Mais à la différence de Beacon, pas de pop-up Facebook vous demandant de partager l'article que vous lisez ou l'achat que vous venez d'effectuer : la surveillance est maintenant invisible.

Comment Facebook réagit-il face à ces nouvelles révélations ? Le directeur technique de l'époque déclare que ces cookies ne sont pas utilisés par Facebook pour surveiller les utilisateurs mais pour protéger les comptes utilisateurs de cyber attaques. Concernant la surveillance des utilisateurs n'ayant pas de compte, il s'agirait là d'un bug qui aurait été corrigé depuis (faux). Le Wall Street Journal indique dans son enquête de mai 2011 que les boutons Like permettaient de vous surveiller sur plus d'un tiers des 1000 sites web les plus visités au monde, et sur plus d'un million de sites web. Devant de tels chiffres, on commence à prendre conscience de l'ampleur de la surveillance généralisée.

En septembre 2011, Facebook est accusé de continuer de surveiller les utilisateurs même après leur déconnexion. Facebook devrait supprimer les cookies lorsqu'un utilisateur se déconnecte et notamment l'identifiant utilisateur, il ne le fait pas, et tente de tromper son auditoire :

Facebook does not track users across the web. Instead, we use cookies on social plugins to personalize content (e.g. show you what your friends liked), to help maintain and improve what we do (e.g. measure click-through rate), or for safety and security (e.g. keeping underage kids from trying to sign up with a different age). No information we receive when you see a social plugin is used to target ads, we delete or anonymize this information within 90 days, and we never sell your information.

Specific to logged-out cookies, they are used for safety and protection, including identifying spammers and phishers, detecting when somebody unauthorized is trying to access your account, helping you get back into your account if you get hacked, disabling registration for underage people who try to re-register with a different birth date, powering account security features such as second factor login approvals and notification, and identifying shared computers to discourage the use of “Keep me logged in.”

Si l'on réfléchit à la meilleure manière pour Facebook d'imposer son capitalisme de surveillance, il lui faut d'abord parvenir à convaincre les éditeurs d'installer ses traceurs. La transparence n'ayant pas réussi (Beacon était présenté comme un outil commercial), Facebook a préféré opérer de manière déguisée (déclarer que le bouton Like ne serait pas utilisé pour de la surveillance publicitaire).

En décembre 2012, le Wall Street Journal revient sur son enquête pour indiquer que les boutons Like se retrouvent maintenant sur 2/3 des sites du top 1000, Facebook répond encore qu'il utilise les informations des boutons Like uniquement pour la sécurité et pour corriger les bugs. Mais la malhonnêteté est bien là. En février 2011, Facebook a déposé un brevet pour surveiller les utilisateurs en dehors de son propre site et proposer de la publicité ciblée basée sur ces profils :

The present disclosure relates generally to social network systems and other websites in which users can form connections with other users, and in particular, to tracking activities of users of social network systems on other domains to, for example, analyze, target, or gauge the effectiveness of advertisements (ads) rendered in conjunction with social network systems.

Avant d'utiliser la collecte de données des boutons Like pour la surveillance publicitaire, Facebook devait encore se débarrasser d'un dernier obstacle : le fait que tout changement de politique de confidentialité devait être soumis à un vote. Voici comment Facebook a procédé :

  • Fin 2012, avec plus d'un milliard d'utilisateurs et une entrée en bourse réussie, Facebook propose un vote sur la suppression des futurs référendums concernant sa politique de confidentialité.
  • 88% des utilisateurs ont voté contre, mais Facebook arguant du fait que seuls 589,000 personnes avaient voté (une clause indiquait qu'à minima, 30% des utilisateurs devaient voter), il pouvait s'asseoir sur la volonté des participants et abolir les référendums.

De nombreux utilisateurs se sont ensuite plaints de ne pas avoir été informés de ce vote, n'ayant reçu aucune notification ou aucun e-mail. Facebook ne voulait clairement pas que vous votiez.

En juin 2014, Facebook décide d'activer la surveillance publicitaire basée sur les boutons Like (et tous les autres plugins qu'il fournit aux éditeurs : Facebook Login, le pixel Facebook, le SDK pour les applications, etc). Le titre de l'article annonçant la mise à jour est un modèle de novlangue : Making Ads Better and Giving People More Control Over the Ads They See.

Après avoir passé 7 ans à promettre de ne pas exploiter les données collectées par ses plugins pour de la surveillance publicitaire, Facebook renie ses promesses. Pourquoi ? La concurrence a été écrasée (MySpace et Orkut ont fermés, Google+ s'est avéré être un échec) et même si la qualité de Facebook est grandement dégradée par cette atteinte massive à leur vie privée, les utilisateurs n'ont plus d'alternatives viables. Facebook peut maintenant sur-exploiter vos données personnelles pour son plus grand bénéfice.

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En 2018, même le cofondateur de WhatsApp conseille de supprimer Facebook.

Avec WhatsApp, Facebook reproduit la même stratégie

WhatsApp est créé en 2009 et très vite, la protection de la vie privée est un axe fort de l'application :

So first of all, let's set the record straight. We have not, we do not and we will not ever sell your personal information to anyone. Period. End of story. Hopefully this clears things up.

En 2012, lorsque le co-fondateur de WhatsApp Jan Koum écrit le billet "Pourquoi nous ne vendons pas de pub", le discours sur la publicité est fort :

La publicité n'est pas seulement une gêne esthétique, une insulte à votre intelligence et une interruption de votre fil de pensées. Dans chaque entreprise vendant de la publicité, une importante partie de leur équipe d'ingénieurs passent leurs journées à affiner l'exploration de données, améliorer le code pour collecter toutes vos données personnelles, améliorer les serveurs qui contiennent toutes les données et s'assurer que tout est bien enregistré, rassemblé, découpé, emballé et envoyé... Au final, le résultat de tout cela est une bannière de publicité légèrement différente dans votre navigateur ou écran de téléphone mobile.

Voici un autre passage du même billet, traitant du recueil de données personnelles :

À WhatsApp, nos ingénieurs passent tout leur temps à réparer des bugs, ajouter de nouvelles fonctionnalités et passer le tout au peigne fin pour offrir une messagerie riche, abordable et fiable pour tous les téléphones dans le monde entier. C'est notre produit et notre passion. Vos données n'entrent même pas en jeu. Cela ne nous intéresse tout simplement pas.

À l'époque, WhatsApp avait une très bonne réputation. L'application était en effet appréciée pour sa simplicité, sa fiabilité, mais aussi pour son positionnement sur la publicité et les données personnelles. Comme avec Facebook à ses débuts, la protection de la vie privée est un avantage compétitif pour WhatsApp, qui lui permet de gagner des parts de marché (sur Facebook Messenger ou Google Hangouts par exemple).

Seulement voilà, en 2014 WhatsApp vend son application à Facebook pour 22 milliards de dollars. Vu l'historique de Facebook, on peut déjà craindre le pire. Jan Koum écrit pourtant sur le blog de WhatsApp :

Voici ce qui va changer pour vous, nos utilisateurs : rien.

WhatsApp restera autonome et fonctionnera indépendamment. Vous pouvez continuer à profiter du service à moindre coûts. Vous pouvez continuer à utiliser WhatsApp n'importe où dans le monde entier ou avec n'importe quel Smartphones que vous utilisez. Et vous pouvez toujours compter sur le fait qu'il n'y aura absolument aucune publicité pour venir interrompre votre communication. Il n'y aurait pas eu de partenariat entre nos deux sociétés si nous avions eu à faire des compromis sur nos principes fondamentaux qui font l'identité de notre entreprise, notre vision et notre produit.

Et en effet, WhatsApp revient ainsi sur sa parole et décide de partager vos données personnelles avec Facebook dès 2016 :

Mais en coordonnant davantage avec Facebook, nous pourrons faire des choses telles que suivre des mesures de base sur la fréquence d'utilisation de nos services des gens et améliorer la lutte contre les spams sur WhatsApp. Et en connectant votre numéro de téléphone avec les systèmes de Facebook, ce dernier peut vous offrir de meilleures suggestions d'amis et vous montrer des publicités plus pertinentes si vous avez un compte Facebook. Par exemple, vous pouvez voir une publicité d'une entreprise avec laquelle vous avez déjà travaillé au lieu de voir celle d'une entreprise dont vous n'avez jamais entendu parler.

Afin de mieux comprendre la portée de cette modification, il convient de s'extraire de la communication de WhatsApp. L'EFF détaille les données dorénavant partagées avec Facebook : numéro de téléphone, carnet d'adresses et données d'utilisation (quand vous utilisez WhatsApp, avec qui vous communiquez, sur quel appareil, votre adresse IP, etc). Ces métadonnées sont extrêmement précieuses pour Facebook, qui même s'il n'a pas accès au contenu de vos conversations WhatsApp (chiffrées de bout en bout), récolte les informations les plus importantes.

À l'époque, WhatsApp laisse un opt-out de seulement 30 jours aux utilisateurs existants (via ce "Dark Pattern"). Les nouveaux utilisateurs n'auront pas ce choix. Et encore, l'opt-out ne permet pas d'arrêter le partage d'informations, seulement d'empêcher Facebook d'utiliser vos informations WhatsApp pour de la publicité ciblée ou l'amélioration de ses produits (suggestion d'amis). Relisons l'EFF à ce propos :

Note that your WhatsApp information will still be passed to Facebook for other purposes such as “improving infrastructure and delivery systems, understanding how [Facebook and WhatsApp] services...are used, securing systems, and fighting spam, abuse, or infringement activities." Changing your settings does ensure, however, that Facebook will not use your WhatsApp data to suggest friends or serve ads.

En Europe, ce partage de données passe mal. L'Allemagne refuse le partage de données, puis les CNIL européennes demandent "instamment" d'arrêter le partage des données personnelles. La CNIL du Royaume-Uni demande ensuite la mise en pause de la synchronisation des données. Enfin la CNIL met en demeure WhatsApp de ne plus transmettre à Facebook les données de business intelligence de WhatsApp. Entre-temps, la Commission Européenne affirme que Facebook a fourni des informations trompeuses lors du rachat de WhatsApp et lui inflige une amende de 110 millions d'euros :

Facebook a indiqué à la Commission qu'elle ne serait pas en mesure d'associer automatiquement et de manière fiable les comptes d'utilisateur des deux sociétés

Ces épisodes sont très bien résumés dans le billet du blog de Killian Kemps, "WhatsApp transfère-t-elle des données à Facebook ?". Ce billet pose une question simple : WhatsApp a-t-il réellement stoppé le partage de vos données personnelles avec Facebook suite à ces plaintes dans l'Union Européenne ? Malheureusement non, même si la réponse n'est pas facile à trouver.

Voici ce que dit la politique de confidentialité de WhatsApp pour les résidents de l'Union Européenne (mise à jour en avril 2018) :

Comment nous travaillons avec d'autres entités Facebook

Nous faisons partie des entités Facebook. En tant que membre des entités Facebook, WhatsApp reçoit des informations des entités Facebook et leur transmet également des informations. Nous pouvons utiliser les informations qu’elles nous envoient, et elles peuvent utiliser celles que nous leur transmettons, afin de nous aider à exploiter, fournir, améliorer, comprendre, personnaliser, prendre en charge et commercialiser nos Services et leurs offres [...].

En approfondissant la question via l'article "Comment nous travaillons avec les entités Facebook", on comprend que les échanges de données personnelles entre WhatsApp et Facebook sont très nombreux. Un point cependant, sans l'action de la Commission Européenne, Facebook irait encore plus loin dans le traitement de vos données personnelles :

Nous ne partageons pas de données afin d'améliorer les produits Facebook sur la plateforme et d'offrir de meilleures expériences publicitaires sur Facebook.

Aujourd'hui, Facebook n'utilise pas les informations de votre compte WhatsApp pour améliorer votre expérience avec les produits Facebook ni pour vous proposer des publicités Facebook plus ciblées sur sa plateforme. Ceci est le résultat de discussions avec le commissaire irlandais chargé de la protection des données et d'autres autorités responsables de la protection des données en Europe. Nous cherchons constamment de nouvelles manières d'améliorer votre expérience avec WhatsApp et les Produits des entités Facebook que vous utilisez. Si, à l'avenir, nous décidons de partager de telles données avec les Entités Facebook à cette fin, nous conclurons d'abord un accord avec le commissaire irlandais chargé de la protection des données afin d'établir un mécanisme qui permette une telle utilisation. Nous vous informerons des nouvelles expériences mises à votre disposition et de nos pratiques concernant l'utilisation de vos données.

Et en effet, si vous n'êtes pas un résidant de l'Union Européenne, Facebook ne se prive de rien :

Facebook et les autres entités de la famille Facebook peuvent également utiliser des informations que nous avons fournies pour améliorer vos expériences au sein de leurs services, comme faire des suggestions de produit (par exemple d’amis, de connexions ou de contenus intéressants) et afficher des offres et des publicités pertinentes.

Depuis début janvier, la dernière mise à jour des conditions d'utilisation de WhatsApp passe mal. La date de mise en application des nouvelles conditions d'utilisation est repoussée : initialement prévue le 8 février, elle aura lieu le 15 mai, le temps pour WhatsApp d'affiner sa communication.

Si le partage de vos données personnelles avec Facebook était déjà effectif depuis presque 5 ans, cette mise à jour va permettre à Facebook d'aller plus loin :

Ce service d'hébergement est une première brèche du chiffrement de bout en bout car ces communications ne seront pas chiffrées chez l'hébergeur (un des 2 "bouts" du chiffrement). Voici comment WhatsApp noie le poisson :

WhatsApp considère les discussions avec les entreprises utilisant l’application WhatsApp Business ou gérant et stockant elles-mêmes les messages des clients comme chiffrées de bout en bout. Une fois le message reçu, il sera sujet aux propres pratiques de l’entreprise en matière de confidentialité. L’entreprise peut permettre à un certain nombre d’employés, voire d’autres prestataires, de traiter le message et y répondre.

Certaines entreprises pourront choisir de stocker les messages des clients et y répondre de façon sécurisée à travers la société mère de WhatsApp, Facebook. Vous pouvez toujours contacter les entreprises pour en savoir plus sur leurs pratiques en matière de confidentialité.

Par facilité, la grande majorité des sociétés choisira sans doute la solution d'hébergement de Facebook. Le contenu de vos discussions avec les entreprises sera donc visible de "l'hébergeur" Facebook et soumis à ses pratiques en matière de confidentialité.

Dernier argument en faveur de WhatsApp donc (notamment si l'on compare à Telegram), vos messages personnels restent protégés par le chiffrement de bout en bout, par défaut :

La confidentialité et la sécurité de vos messages et appels personnels ne changent pas. Ils sont protégés par le chiffrement de bout en bout et ni WhatsApp ni Facebook ne peuvent les lire ou les écouter. Nous n'affaiblirons jamais cette sécurité et nous faisons apparaître cette information dans chaque discussion afin que vous puissiez être au fait de notre engagement.

À noter que WhatsApp utilise le protocole open source de Signal pour le chiffrement des messages, un point fort :

Chaque message WhatsApp est protégé par le même protocole de chiffrement de Signal, sécurisant les messages avant qu’ils ne quittent votre appareil.

Mais pour le reste de vos données personnelles, c'est open bar. Comment WhatsApp a-t-il pu à ce point trahir ses utilisateurs ? Pour une histoire détaillée des compromissions (et résistances) de WhatsApp face à sa maison mère, lisez l'excellent article de Forbes "Exclusive: WhatsApp Cofounder Brian Acton Gives The Inside Story On #DeleteFacebook And Why He Left $850 Million Behind". Le co-fondateur de WhatsApp y déclare notamment :

I sold my users’ privacy to a larger benefit. I made a choice and a compromise. And I live with that every day.

Brian Acton a quitté WhatsApp en septembre 2017 (et son compère Jan Koum en avril 2018). Aujourd'hui, il est à la tête de la Signal Foundation, lancée en février 2018 avec un financement initial de 50 millions de dollars d'Acton. Il a également un rôle opérationnel important chez Signal.

Facebook a depuis dégouté les cofondateurs d'Instagram, Kevin Systrom et Mike Krieger, pour une histoire de jalousie (Instagram est à la mode, plus Facebook) et de croissance à tout prix (dégrader l'application Instagram pour mettre en avant l'application Facebook).

Une fin heureuse ?

On le voit donc, WhatsApp suit le modèle de sa maison mère : il s'est imposé en étant plus respectueux de la vie privée que ses concurrents. Racheté par Facebook et en position dominante, il trahit votre confiance en érodant progressivement votre vie privée.

Va-t-il s'en tirer à bon compte ? Cela dépendra de nos actions collectives. Pour ma part, la tâche est encore plus ardue qu'avec Facebook et Instagram (comptes que j'avais pu fermer il y a quelque temps déjà). J'ai pu migrer quelques conversations et groupes sur Signal, mais je vais devoir convaincre beaucoup de personnes avant d'espérer fermer mon compte WhatsApp.

WhatsApp

Confidentialité de WhatsApp sur l'App Store.

Signal

Confidentialité de Signal sur l'App Store.

Néanmoins, il est permis d'être optimiste sur le long terme. À la différence de Facebook ou d'Instagram qui n'ont aujourd'hui pas de vrais concurrents, les messageries Telegram et Signal vont donner du fil à retordre à WhatsApp. Et la vague d'installation actuelle de Signal fait plaisir à voir.

musk

Un tweet d'Elon Musk ne peut jamais faire de mal.

snowden

On a connu pire comme sponsor.

snowden2

Signal, plutôt que Telegram